J-6
“oui mettez m’en 5 bien mûres c’est pour ce midi, je reçois la famille à la maison
…
oh ils connaissent déjà le coin, ils viennent m’aider à vider mon appartement
…
nulle part, je garde l’essentiel et je le mets sur mon vélo puis on verra où le vent me porte
…
ça s’annonce bien oui, je passerai vous raconter à l’occasion“

ca devenait concret
n’était plus un projet
mais une situation
j’allais devoir en peaufiner le récit
le « pitch » comme ils disent
étonnamment, ça n’avait pas été nécessaire à mes proches afin qu’ils comprennent et se saisissent de cette nouvelle condition
comme s’il s’agissait d’un enchainement prévisible et attendu
comme s’ils avaient depuis longtemps entendu mes positions
pourtant j’allais sauter dans le plus complet des inconnus
et c’était pour moi très excitant à défaut d’être effrayant
peut être la confiance qui régnait autour de ce proche avenir et ces perspectives suffisait à me rassurer
assurément j’avais déjà saisi le principe de l’impermanence et y avais assujetti ce projet
il n’avait, n’a aujourd’hui, ni échéance et durée déterminée, ni la prétention d’être éternel
c’est sans doutes pour ça que l’aventure s’annonçait aussi belle

mes derniers jours de colocation rue Doudin m’ont appris le détachement
ils m’ont montré combien il était souhaitable de donner, de partager
rétablir justice et équité
que n’importe quoi peut être un poids pour les uns et pour d’autres du pain béni
qu’on sous-estime les bienfaits de l’entraide et que le temps donné aux autres nous bénéficie tout autant, loin d’être perdu
j’apprenais déjà et je n’étais pas encore parti
j’avais à ce moment aussi peu de certitudes que j’en ai aujourd’hui
cependant l’exigence très personnelle de demeurer léger
pour moi, pour les autres, pour la Terre
pas question de faire de cette aventure une expérience qui dégraderait ma santé bien que je m’autorise à porter atteinte au confort
-voir mes recherches sur le confort-
pas question non plus d’encombrer les autres par ma présence, de mes tracas ou de tout ce dont je n’ai pas su me détacher
pas de stockage chez papa et maman donc
hors de question aussi de faire payer la Terre et ses habitants pour mes choix et mes envies
exit alors l’autosolisme, les voyages en avion, les hôtels étoilés sous prétexte qu’à un moment, je l’ai mérité
exit enfin ces choses, pas forcément inhérentes au nomadisme/sans-domicilisme ou la vie itinérante mais que je ne pourrai plus cacher derrière « les habitudes de la coloc » ou « les obligations professionnelles »
je ne les détaille pas dans le but de laisser chacun identifier ses habitudes pas si difficiles à perdre
cette décision serait assumée ou ne serait pas
après tri, rangement, nouveau tri, dons et nouveau tri
je me retrouvais avec quelques 80 litres d’objets, livres et vêtements bien tassés sur la bicyclette qui allait me porter
tout le reste avait été légalement et gentiment dérobé par les passants, les amis, ou offert aux personnes dans le besoin qui mendiaient et vivaient dans un rayon de deux kilomètres
missions accomplies
